Quelles initiatives pour un langage non binaire ?

Remarque préalable : Cet article n’a pas vocation à être exhaustif et ne fait que compiler des initiatives linguistiques qui m’ont parues intéressantes au fil de mes lectures.

Pour des propositions plus complètes de langages non binaires et/ou neutres, vous pouvez visiter les sites Internet évoqués dans la section des initiatives développées par les personnes concernées. 

Il n’existe (pour l’instant) pas de règles en matière de langage qui reflète l’expérience des personnes non binaires. Le français est une langue qui comprend deux genres grammaticaux : le féminin et le masculin. Pour les mots qui désignent des personnes, le genre grammatical féminin désigne une référente de genre social féminin et le genre grammatical masculin désigne un référent de genre grammatical masculin. Le genre neutre n’existe donc pas en français (à part dans de très rares cas comme « ce », qui est tout de même traditionnellement accordé au masculin).

Nous allons donc parler ici d’initiatives individuelles et collectives, se basant ou non sur le français normé, qui ont pour objectif de donner des outils pour désigner les personnes non binaires en sortant de la binarité imposée par la langue française. Ces initiatives sont peu connues et sont considérées comme encore plus politisées que l’utilisation du point médian.

Pour rappel, les personnes non binaires ne doivent à personne d’être « cohérentes », d’utiliser des pronoms considérés comme non binaires ou d’utiliser toujours les mêmes pronoms.

L’écriture inclusive avec point médian censée inclure les personnes non binaires

De nombreux·ses féministes ont mis en lumière le besoin de refuser le masculin générique et de visibiliser les femmes dans la langue pour contrebalancer cette omniprésence du masculin. C’est dans cette optique qu’a été créée l’écriture inclusive avec point médian, qui sert d’abréviation à des formulations incorporant des doublets. Par exemple, on dira « lecteur·rices » que l’on prononcera « lecteurs et lectrices ».

A alors émergé la question de l’inclusion ou non des personnes non binaires dans ce processus de visibilisation. Certain·es estiment que le neutre n’existant pas en français, les formules avec doublets incluent les personnes non binaires, ou que les formulations avec point médian, introduisant un nouveau signe, peuvent aussi les inclure.

C’est ainsi que, petit à petit, le langage inclusif est aussi devenu langage non binaire, notamment avec l’utilisation du point médian au singulier, comme « lecteur·rice », ou même ensuite la fusion complète des deux formes dans « lecteurice », où il n’est plus question de rétablir les doublets à l’oral. Côté pronoms, le plus utilisé et reconnu est aussi une fusion entre féminin et masculin : « iel ».

Si une partie des personnes non binaires se reconnait dans l’écriture inclusive telle qu’elle est en train de se normaliser, d’autres estiment qu’une langue qui reprend les marques du masculin et du féminin ne peut pas refléter une expérience hors de cette binarité.

Des initiatives créatives foisonnantes pour sortir de la binarité

Comme rien n’est figé en termes de linguistique non normée, et qu’il s’agit ici de créer un nouveau genre qui n’existe pas encore en français, de nombreuses initiatives plus ou moins approfondies voient le jour de manière plus ou moins spontanée. De nombreuses parties prenantes ont ainsi développé un langage non binaire différent du langage dit « inclusif », qui va plus loin que cette fusion entre masculin et féminin. Les propositions sont diverses, en particulier en ce qui concerne les pronoms.

En dehors du pronom « iel » dont nous avons déjà parlé, d’autres pronoms sujets beaucoup moins connus incluent ile, ille, elli, iel, yel, yol, ol ou ul et les noms communs auxquels ils se rapportent peuvent reprendre des suffixes à vocation neutre, qui sont trouvables ou non en français normé comme « -z », « -x », « -trem » ou « -iem ».

Il est difficile de trouver des solutions qui soient simples à utiliser et à comprendre pour les personnes non sensibilisées, et il est aussi difficile de trouver des terminaisons et des pronoms qui ressembleraient aux terminaisons et pronoms que nous connaissons déjà tout en se détachant de la binarité omniprésente en français.

Certaines personnes ont développé des propositions de systèmes complets, que ce soit pour le langage non binaire ou pour le langage neutre. Vous pourrez notamment explorer ces différentes solutions sur les sites suivants :

La grammaire neutre d’Alpheratz

Les Règles de grammaire neutre et inclusive du site Divergences

Le dossier En savoir plus sur les pronoms de Fierté à la fonction publique

Le langage neutre en français : pronoms et accords à l’écrit et à l’oral sur le blog En tous genres

Les outils qui me semblent faciles à mettre en place

Les accords en « æ »

Le français dispose de nombreux verbes du premier groupe qui se transforment en participes passés à la terminaison « -é », ou « -ée » au féminin, le féminin et le masculin se prononçant de la même façon.

L’intérêt du signe « æ » est qu’il se prononce de la même manière que le « é », tout en ne renvoyant à aucun genre connu. Il présente aussi le même intérêt que le point médian dans le sens où il n’est pas vraiment utilisé pour autre chose en langue française et donc ne peut pas être confondu.

Je suis allæ manger des crêpes.

Cette correspondance en termes de son pourrait aussi être réutilisée dans d’autres mots comme « læquels », à voir les solutions qui pourraient être trouvées pour le problème de l’unique « l » dans ce mot-là, qui renvoie traditionnellement au masculin.

À partir de ces accords, on pourrait privilégier le pronom sujet « Ael »

Malgré le fait que « ae » et « æ »  ne se prononcent pas de la même manière, il est visuellement possible de faire un rapprochement. Le pronom sujet « ael » me semble intéressant car il introduit la voyelle « a » non existante dans les pronoms personnels binaires, tout en gardant une forme se rapprochant des formes pronominales traditionnelles.

Cependant, on pourrait argumenter que le « e » pourrait renvoyer au féminin et l’unique « l » au masculin des pronoms sujets traditionnels.

Les néologisme épicènes

Il existe déjà des terminaisons épicènes de noms comme « -aire » (décisionnaire), « -ique » (scientifique) ou « -iste » (artiste) qui peuvent être reprises pour des noms communs n’ayant pour l’instant pas de terminaison épicène comme « lectaire » par exemple.

La création de néologismes épicènes peut alors dépendre de la créativité de chacun·e, et se figer avec l’usage.

Comme vous l’aurez compris, ce sujet est un sujet libre où toute idée est la bienvenue puisque rien de figé n’existe pour le moment dans la langue française.

Mais ce thème nous amène vers une autre problématique, qui est la différence entre inclusion et non-binarité. Si nous développons un langage non binaire, a-t-il vocation à ne renvoyer qu’à des personnes non binaires ?  Et s’il a vocation à être un neutre qui englobe tous les genres, ne s’agira-t-il alors pas d’une invisibilisation d’autres genres au même titre que le masculin générique le fait ?

Faudrait-il alors créer un langage non binaire et un langage neutre « universel » au risque d’invisibiliser les hiérarchies existantes et la portée politique de ces initiatives linguistiques ?

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