Pour apporter un peu de nuance

Ma psy me dit (de moins en moins souvent) que je manque de nuance.

Et évidemment, elle a raison.

Notamment sur le langage inclusif.

Alors depuis quelques semaines, je suis en processus de remise en question de mon rapport au langage inclusif.

J’ai longtemps milité pour un langage inclusif à base de points médians parce qu’al me semblait primordial d’être visible, et parce que le point médian était la manière dont les personnes engagées autour de moi montraient leur engagement

Mais ces derniers temps, je réalise deux choses.

D’abord, le point médian n’est pas la seule manière d’être visible et n’est même pas la plus inclusive.

Ensuite, le point médian n’est peut-être pas la meilleure manière de généraliser le sujet de l’inclusion dans la communication.

Alors essayons d’apporter de la nuance.

En réalité, je ne suis pas convaincux par le point médian. Cette technique de langage inclusif a été au départ créée pour visibiliser les femmes. Aucun problème avec ça, puisque c’est une réalité que les femmes sont invisibilisées par l’usage du masculin générique. Le problème, c’est que cette technique reste très binaire, et qu’elle ne prend pas en compte les personnes non binaires.

Mais comment réussir à créer une langue qui soit réellement inclusive ? Le problème avec le français est qu’il a été pensé et construit pour être difficile et peu accessible, en plus de très binaire. Al suffit de regarder le nombre de terminaisons genrées qui existent, al y en a beaucoup trop pour qu’al soit facile de trouver une alternative qui fonctionne pour toutes, comme c’est le cas pour le langage inclusif en espagnol par exemple.

Donc le point médian a l’intérêt de visibiliser les femmes, ce qui est en partie de ce que je veux en tant que militanx pour l’égalité et la représentation dans la langue. En plus, il reste assez adaptable au français traditionnel puisqu’il est utilisable avec toutes les terminaisons genrées.

Tout est une question de compromis en fonction de nos priorités. Tout est une question de nuance.

Un autre des problèmes qui vient avec le point médian est la difficulté à la lecture. Parfois, je rate des fautes dans mes textes parce que j’utilise le point médian et que tous mes mots sont soulignés en rouge sur l’ordinateur, ce qui est sûrement la faute du rouge partout, mais je ne pense pas que le point médian aide non plus. Mon hypothèse est qu’al s’agit d’un problème lié à l’habitude. Plus nous aurons l’habitude de lire le point médian, plus al sera facile de le lire.

L’autre question est celle de l’accessibilité. Évidemment, les technologies de lecture d’écran doivent s’adapter pour être capables de lire le langage inclusif. L’objectif est de nous adapter aux gens, pas aux technologies. Les technologies doivent être adaptées à l’usage.

Si pour certaines personne al s’agit d’une question d’habitude, la lecture est aussi une difficulté rencontrée par les personnes dys, le point médian étant pour certaines d’entre elles un obstacle majeur à la compréhension des textes. Mais attention, toutes les personnes dys n’ont pas de difficulté à lire le point médian, ce n’est pas à généraliser, et ce n’est pas à prendre comme argument pour condamner le langage inclusif dans son ensemble.

Mais alors, est-ce que ces difficultés légitiment le fait de limiter au maximum l’usage du point médian ? Ou est-ce qu’al vaut mieux faire du forcing et se dire que les lectaires s’adapteront, quitte à les perdre à cause de la difficulté de la lecture ?

L’alternative serait le langage épicène. Mais des recherches ont démontré fin 2023 que ce type de langage entraine des imaginaires masculins, comme l’utilisation du masculin générique. Donc quand on ne parle pas de genre, les interlocutaires s’imaginent des hommes. Les cherchaires ont émis l’hypothèse que ce serait parce qu’on a trop l’habitude du masculin générique et donc par habitude le cerveau prend l’épicénisation comme équivalent du masculin générique. La solution serait donc que plus on s’habituera au langage inclusif sous toutes ses formes, plus l’épicénisation engendrera des imaginaires inclusifs.

L’autre aspect de l’épicénisation qui me chiffonne est l’invisibilisation. Si on invisibilise tous les genres, les lectaires non sensibilisæs ne peuvent pas se rendre compte de l’inclusion. Et nous sommes dans un système injuste où nous avons un besoin de visibilisation pour que les gens prennent conscience de cette injustice et aient envie d’agir pour la contrer. Alors pour moi, l’épicénisation, et donc l’invisibilisation des genres, n’est pas suffisante.

Peut-être qu’utiliser une méthode visible dès le début des textes permettrait de faire prendre conscience aux lectaires de l’inclusion et permettrait à leur cerveau d’y être ensuite attentif. Nous pourrions essayer de commencer à utiliser quelques néologismes et/ou points médians dans des textes majoritairement épicénisés, afin qu’ils soient non seulement objectivement neutres, mais que cette neutralité soit assumée comme une volonté politique à différents endroits du texte pour le rappeler.

Suis-je en train de conseiller un langage inclusif « raisonné » ? Je n’aime pas cette expression, car j’ai l’impression qu’elle peut trop facilement être réappropriée pour prôner une dépolitisation de la langue. L’évocation de la raison me renvoie vite à la dichotomie émotions/raison qui est souvent utilisée contre les féministes (et les femmes) pour délégitimer leurs luttes. D’ailleurs, cela ressemble beaucoup trop à une injonction à être « raisonnables » à mon goût.

Je n’ai pas utilisé le point médian dans ce billet de blog, j’ai privilégié les néologismes et l’épicénisation. Ce choix est un choix que je fais en ce moment pour mes écrits personnels afin de pallier les limites du point médian décrites plus haut, tout en gardant un aspect visible et politique dans mon utilisation du langage inclusif.

Je n’utilise pas les néologismes dans mon travail de traduction, car ils restent minoritaires dans les usages francophones. Je vois pourtant de plus en plus de personnes utiliser des néologismes calqués sur l’utilisation du point médian, notamment dans certains livres engagés ou sur les réseaux sociaux. Je le fais à l’oral pour visibiliser le langage inclusif et parce que cela permet de rattraper l’usage du masculin générique facilement, mais j’essaie de le faire de moins en moins. Comme pour le point médian, je ne suis pas convaincux par l’idée de reprendre des formes marquées par la binarité (les terminaisons féminines et masculines) pour en faire des formes non binaires.

Dans l’idéal, nous pourrions mettre en place des méthodes qui sortent de cette binarité pour créer un langage non binaire/neutre. Cependant, au vu de la diversité des terminaisons en français, al parait difficile d’y arriver. Et compte tenu de la résistance institutionnelle au point médian, al parait peu réaliste que des terminaisons néologisantes qui soient de pures créations (amix) et non des adaptations d’usages antérieurs (traductaire) puissent se normaliser.

En l’absence de solutions idéales, essayons d’être le plus inclusixs possible avec les outils à notre disposition, sans oublier de prendre soin de notre santé mentale dans ce processus qui entraine parfois des réactions fortes. Tous ces sujets sont des sujets en construction, alors testons, adaptons, changeons d’avis, et soyons bienveillanxs envers nous-mêmes et les autres.

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